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Vivre ensemble au sein d’un immeuble ne se décrète pas, mais peut être encouragé. Chaque projet d’habitat participatif est un prototype en ce sens : il n’existe pas un modèle unique mais des modèles, en réalité autant que d’habitats.

Le Groupe du 4 Mars est une coopérative d’habitant·es installée dans l’immeuble du Cairn à Lyon depuis presque 5 ans, après 10 ans de gestation. Nous vous proposons une incursion dans notre fonctionnement et nos réflexions.

Cet article est le deuxième d’une série de six qui apporte un éclairage sur le développement de la coopérative et le vécu du groupe:

 

  1. Un groupe qui évolue · Part. 1 : faire collectif dans la durée
  2. Un groupe qui évolue · Part. 2 : devenir coopérateur·ice
  3. Un lieu qui rassemble · Part. 1 : cohabiter plutôt que coexister
  4. Un lieu qui rassemble · Part. 2 : faire exister le «nous» avant le «je»
  5. Du temps investi au quotidien
  6. Des outils pour échanger, transmettre et archiver

ℹ️ Vous découvrez cet article sans connaître le Groupe du 4 Mars ?
Voici quelques éléments de compréhension : l’immeuble du Cairn se compose de 24 logements sociaux, 11 gérés par le bailleur social Alliade Habitat, 13 par notre coopérative d’habitant·es. Nous sommes donc 13 ménages avec chacun son propre appartement, nous partageons un socle de valeurs et des espaces mutualisés : salle commune pour accueillir les réunions comme les moments festifs, potager, buanderie, bureau et chambre d’ami·es.
Pour plus de détail nous vous invitons à explorer notre site web !

UN GROUPE QUI ÉVOLUE · Partie 2: Devenir coopérateur·ice

⏱️ Temps de lecture : 8 minutes

Créer puis gérer un habitat partagé est un projet qui se pense dans le long terme. Le groupe peut donc être amené à se renouveler progressivement, en phase d’émergence comme une fois installé dans les murs.

Intégrer les nouvelles·aux arrivant·es, veiller à la cohésion, à la continuité du référentiel commun et maintenir l’énergie dans le temps, autant de questions auxquelles les groupes d’habitat participatif sont confrontés de manière récurrente ; le Groupe du 4 Mars n’y fait pas exception.

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🎟️ QUESTIONNER LES CRITÈRES D’ENTRÉE POUR LES NOUVELLES·AUX ARRIVANT·ES: DE LA COOPTATION AU TIRAGE AU SORT

La dynamique du groupe et les relations façonnent l’habitat partagé au quotidien. La constitution du Groupe du 4 Mars a évolué dans le temps, avec des membres choisis au départ, puis une ouverture progressive qui a soulevé la question des critères d’entrée.

En 2009, des ami·es croix-roussien·nes évoquent l’idée d’un habitat participatif en logement social, pour pouvoir demeurer dans leur quartier en voie de gentrification. Le 4 Mars 2009 marque officieusement le début de l’aventure, avec la création du groupe par des personnes qui se connaissent donc bien en amont.

Très rapidement, le groupe s’est aperçu que pour durer, il fallait se renouveler. Ainsi, chaque année, une réunion d’ouverture permettait à toute personne intéressée par le projet et ses valeurs de rejoindre le groupe : pas de cooptation, juste l’envie de participer à l’aventure… Ainsi le groupe a pu rassembler jusqu’à 19 ménages.

L’année où nous avons trouvé le foncier, nous étions alors 13 ménages engagés dans le projet. C’était en 2015. À partir de cette date, le Groupe du 4 Mars met en place et anime le Cercle 2, constitué des personnes intéressées par le projet et sollicitées lorsqu’un ménage décide de partir. Les nouveaux ménages rejoignent le groupe sur la base de leur adhésion aux valeurs et de leur envie d’implication, sans contrainte d’apport minimum.

 

À partir de 2016, la conception architecturale de l’immeuble avance, le nombre comme la typologie des logements sont figés et l’attribution d’un logement à chaque ménage du groupe est faite. Désormais, deux nouveaux paramètres s‘ajoutent lorsqu’un ménage souhaite rejoindre le projet en remplaçant un ménage sortant :

• l’adéquation entre la composition du ménage et la taille du logement disponible ;

• la nécessité d’un apport au moins équivalent à celui du ménage sortant, pour ne pas compromettre le montage financier du projet.

 

Mais que faire lorsque plusieurs ménages du Cercle 2 respectent tous les critères et candidatent pour un même logement ? Comment décider objectivement ?

Privilégier le montant de l’apport le plus élevé ? Cela reviendrait à une forme d’enchère contraire à la volonté d’accessibilité du projet. « Caster » les aspirant·es et faire un vote ? Ce serait risquer de tomber dans des jugements subjectifs délétères… Sans compter le biais de familiarité (biais cognitif qui a tendance à nous faire privilégier ce qui nous est familier ou proche) : nous sommes conscient·es que les personnes intéressées par le principe de l’habitat participatif partagent par défaut un socle de valeurs commun, choisir le ménage entrant reviendrait donc à resserrer encore les traits communs.

Après de nombreux échanges, un nouveau dispositif est acté et mis en place pour limiter la subjectivité et préserver au mieux la diversité des profils : le tirage au sort parmi les ménages éligibles, processus toujours en place à ce jour.

Les membres actuels de notre groupe témoignent qu’ils ne se seraient peut-être pas spontanément choisis mais reconnaissent la richesse des regards et des ressources apportées par chacun·e. Les relations qui s’installent entre coopérateur·ices varient donc en fonction des affinités: de relations de confiance réciproque entre voisin·es jusqu’à l’apparition d’amitiés profondes.

Prendre ses marques lorsqu’on intègre un groupe qui a l’habitude de fonctionner depuis des années peut être exigeant et/ou intimidant, avec un historique relationnel, des règles explicites et des habitudes implicites à assimiler. Un guide du nouvelle·eau coopérateur·ice est transmis à l’arrivée dans le groupe. Depuis 2023 nous avons installé un principe de parrainage : un·e coopérateur·ice se porte volontaire pour être l’interlocuteur·ice priviliégié·e du nouveau ménage et l’accompagner dans toutes ses interrogations au cours de la première année. Depuis que nous sommes dans les murs, nous observons que trouver sa place demande environ 1 an.

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👷 CHEMINER POUR GÉRER LES DIFFERENTES CASQUETTES

Un autre processus d’appropriation, très personnel, demande un temps variable : investir sa posture de décision individuelle en tant que membre décisionnaire, qui se révèle parfois un vrai travail d’équilibriste.

En effet, pour les décisions à enjeux, notre fonctionnement se base sur un principe de vote démocratique où 1 personne = 1 voix : le capital apporté par chaque coopérateur·ice n’entre jamais en ligne de compte. Chacun·e exprime son avis et il est donc important d’avoir conscience des différentes postures qui influent sur sa décision !

 

À l’entrée dans un habitat coopératif, il est assez spontané de se projeter sur 2 casquettes : celle d’habitant·e d’un logement individuel et celle de coopérateur·ice qui va contribuer aux communs, une forme hybride locataire-propriétaire (à l’image du salarié-sociétaire des SCOP).

Mais le quotidien et les problématiques soulevées révèlent en pratique bien plus de casquettes, avec son lot de nuances et de niveaux de préoccupations qui impactent la prise de décision :

➡️ Individu, avec sa trajectoire personnelle et ses valeurs ;

➡️ Ménage, avec son parcours de vie et ses capacités financières ;

➡️ Voisin cohabitant dans un immeuble ;

➡️ Membre du Groupe du 4 Mars tel qu’il est constitué aujourd’hui, avec sa dynamique et ses relations amicales ;

➡️ Membre du Groupe du 4 Mars tel qu’il sera constitué à moyen terme ;

➡️ Associé·e de la SAS coopérative Groupe du 4 Mars, structure copropriétaire de l’immeuble Le Cairn qui vise la pérennité du projet, dont un des emprunts court sur 40 ans.

En fonction de la casquette adoptée, il est fréquent que la réponse à une problématique soit sensiblement différente ; notamment lorsque se présentent des questions financières. Tout l’enjeu est d’arriver à concilier ces casquettes, ou d’endosser en conscience celle correspondant à la question présentée. C’est une gymnastique qui peut parfois être très inconfortable, par exemple lorsque nous avons conscience qu’une décision pour sécuriser la coopérative à long terme peut impacter à court terme un ou plusieurs ménages et fragiliser le groupe tel qu’il est actuellement.

Ce travail sur la posture de décision est continu, chaque nouvelle situation et décision à prendre peuvent nous confronter et nous amener à des arbitrages personnels et collectifs.

Au-delà d’un statut, être coopérateur·ice est un état d’esprit. C’est un cheminement constant et mouvant où l’élan du collectif nous soutient et nous réinterroge tout à la fois.